Le dernier Peter Jackson voit grand... Faire honneur au film de Willis O’Brien, le surpasser, le glorifier sans le dénaturer.

Pas facile pour un remake, surtout près de 70 ans plus tard. C’est avec beaucoup de réticences que j’ai été voir le film. Pour moi les films de monstres des années 30 à 50 ne sont "magnifiques de beauté" qu’à travers la naïveté poétique des moyens mis en œuvre pour donner vie aux bébêtes. Comment éprouver le moindre sentiment lyrique dans une explosion d’effets spéciaux premier degré destiné à montrer la mæstria des informaticiens et le réalisme du réalisateur. Comment être émerveillé quand la seule volonté des studios est de faire passer tous les autres films pour ringard dans une course au "m’as-tu vu" qui n’est limitée que par le budget et non plus par l’imagination des auteurs. Comment entrer dans un film si le grand écran nous offre un film prémaché qui ne demande plus au spectateur de faire un pas vers le film en acceptant pour réel la marionnette animée image par image, où l’acteur en costume détruisant des maquettes. La réponse est dans le jeu d’acteur excellant de Andy Serkis (Gollum dans le Seigneur des Anneaux) et de la symbiose avec l’équipe de Weta. 

Andy Serkis nous montre son talent d’acteur déjanté dans le rôle du chef cuistot, mais surtout au travers du Kong de synthèse. Le jeu ni totalement humain ni totalement simien savamment dosé qui donne à la bête toute sa dimension psychologique (le terme profondeur d’âme semble plus approprié que psychologie ici) qui complète le réalisme d’un Kong très réaliste (le plus organique de tous les films réalisés sur lui... agile et qui bondit !!!). Peter Jackson a su capturer l’âme du film des années 30, il insiste fortement sur le mythe de la belle et la bête, renoue avec le côté Quasimodo et Esméralda du couple Ann Darrow / Kong. Parlons justement de Ann Darrow jouée par Naomi Watts attendue au tournant pour sa capacité à crier aussi bien que Fay Wray (dont l’hommage va jusqu’à citer son nom dans le film). Pari réussi... on attend le cri avec impatience et on n’est pas déçu... la mæstria du montage de Peter Jackson est une fois de plus démontrée. Ses nombreux ralentis avant la vue de Kong nous plongent dans une sensation de rêve, comme si on se remémorait les scènes marquantes du film des années 30. Ce n’est pas sans déplaire aux fans et ainsi acquérir leur aval. Développant des scènes inexistantes dans le film original où dans la version des années 60, Peter Jackson ancre le film dans un monde réel qui ferait passer le film pour une reconstitution historique (comme il l’avait fait pour la saga de l’anneau). Cette impression est renforcée par le film dans le film, comme si nous regardions les images d’archives de la MGM qui aurait récupéré le film de Carl Denham (Jack Black).

 

Peter Jackson rend les personnages réels avec l’ambivalence des émotions que cela implique. Ni totalement caricaturaux, ni totalement tourmentés, ils sont nos guides vers l’extraordinaire. Alors que les autres films s’attardent sur la destruction de New York, Peter change les proportions et s’attarde sur Skull Island. Kong est un être proche de la nature (la vraie, la sauvage et primitive). Si nos personnages sont ancrés dans le réel, un New York des années 30 en pleine misère, qui a besoin de rêver à travers des films d’aventure, à travers des héros aux dents blanches et au brushings impeccables, notre héros est un des éléments de l’écosystème de l’île du crâne. Parmi tous les monstres horribles et répugnants (Jurassic Park à côté c’est le Club Med), il apparaît beau et fort. Cette merveille de la nature (la 8ème ??) semble tout aussi indispensable à la forêt que cette dernière l’est pour lui. Le message écologique des films de monstres apparaît là. Si les gens de la ville (de la jungle Urbaine) sont fourbes et égoïstes (arnaques, mensonges et autres délits qui permettent/poussent nos héros à prendre le bateau pour the Skull Island), les monstres de la jungle sont certes violents mais honnêtes ("si je parais dangereux c’est que je le suis"). Alors que les hommes tentent de doubler la belle (la faire tourner dans un film en lui faisant miroiter fortune et gloire) la bête, elle, ne lui promet rien et lui donne pourtant ce qu’elle peut lui offrir (protection et affection). La nature, même cruelle et dangereuse, est honnête et belle. La nature au premier abord si effrayante avec ses dinosaures et insectes géants est en fait tendresse et amour (allégorie mise en images à travers un hommage à Bambi quand Kong danse sur la glace ---attention scène culte---).

Si les thèmes abordés sont ceux du film original et la magie identique même si les moyens sont différents, pourquoi faire un remake ? Pour faire connaître le film aux plus jeunes ? Pour permettre à Peter Jackson d’accomplir un rêve d’enfant ? Non, rien de tout ça. Le film est plus qu’une retranscription de l’histoire et des messages du film original, c’est une retranscription des sentiments que Peter Jackson a ressentis en voyant le film. Ce film relève plus du témoignage et de la volonté de partage que de celle d’en mettre plein la vue. Ce qui pourrait passer comme la facilité marketing de vendre au grand public un film facile à effets spéciaux voué au succès reprenant une licence garantissant un bon score au box office s’avère en fait être un acte généreux de rendre le rêve qu’un autre réalisateur lui a donné. Ceci se fait parfois au détriment de l’histoire : la course poursuite par un troupeau d’herbeux n’est pas vraiment une réussite visuelle et quelques longueurs sont le prix à payer. Mais ça passe grâce au talent de Peter Jackson (je me demande si je dis pas trop de bien là... je vais finir par ne plus être crédible) qui arrive à nous tenir en haleine 3 heures durant, nous régale avec un montage basé sur la symétrie et le reflet des personnages les uns par rapport aux autres (illustré par une Ann Darrow suspendue à une échelle avec un Kong dans la même position à la fin du film) et une réalisation à la Seigneur des Anneaux (le plan où Kong tombe est le même que celui montrant Gollum tombant dans le volcan --- entre autres---). On ne peut que retrouver la magie des films naïfs des années 30 (je n’aime pas le mot Kitch) quand la magie dépasse et efface les effets spéciaux.